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Le « vieux bonhomme » n’aura pas atteint ses 98 ans ; un AVC sévère l’a emporté en 48 heures. Il a été transporté à l’hôpital de Manosque où il s’est éteint doucement. On a du mal à imaginer que les êtres qui nous ont donné le jour puissent ainsi disparaître et nous laisser seuls ! C’est pourtant le sens de la vie, un cycle qui depuis des millions d’années se répète à l’infini… Voici l’hommage que je lui ai rendu dans le journal « Le Saharien » du mois d’avril 2014

 

 HOMMAGE DE G.HUGOT À HENRI HUGOT (1916-2014)

 

Henri HUGOT fut, comme il aimait à le dire, « un enfant de la guerre » puisqu’il naquit le 5 décembre 1916 en plein conflit mondial alors que son père et son grand-père juge de paix à Auxerre, avaient rejoint les unités combattantes. Son père fut blessé à deux reprises, puis réaffecté à l’état-major des troupes coloniales au Liban où il fut tué dans une attaque des Druses en 1919. Orphelin dès l’âge de 3 ans, Henri HUGOT passa une partie de son enfance dans la grande maison familiale de Saint-Georges près d’Auxerre dans l’Yonne et en Provence où, balloté entre ses grands-parents et ses oncles et tantes, il fut imprégné très tôt de littérature par son cousin Romain Rolland et sa tante Marie Rouget qui allait devenir la poétesse Marie Noëlle. Il aimait à se souvenir des ballades qu’il faisait en compagnie du frère de celle-ci, Pierre Rouget, lorsqu’il herborisait le long du ballast et qu’il ramassait d’étranges silex qui allaient aiguiser sa curiosité pour les pierres taillées et le mener vers la préhistoire puis vers le Muséum national d’histoire naturelle. Son grand-père avait gardé dans le grenier de la maison de Saint-Georges des collections de silex de la grotte du Trilobite (Arcy-sur-Cure) du Dr Fricatier et qui furent volées par les Allemands. Toute sa vie, il conserva un oursin fossile que son oncle lui avait offert ! C’est dans l’artillerie coloniale qu’il participa en 1940 et en 1944 à la Campagne de France et, nourri des récits des officiers coloniaux de la famille, une fois démobilisé, il décida avec sa femme et ses trois enfants de partir en 1949 s’installer en Algérie, comme instituteurs. Ce sera le début d’une longue pérégrination qui les mènera des montagnes de la Kabylie au Sahara en passant par les hautes steppes de la région de Sétif et le littoral de Philippeville avant de s’installer à Alger où ils resteront jusqu’en décembre 1961. C’est au Sahara, de 1950 à 1954, qu’il se lancera avec passion dans la Préhistoire tout en dirigeant durant ces quatre années avec S. Hugot, son épouse, l’école primaire d’Aoulef dans la région du Tidikelt (Territoire des oasis).

Le Sahara restera la grande affaire de sa vie ; très vite il se liera d’amitié avec d’admirables officiers méharistes, amitié de toujours qu’il gardera jusqu’au crépuscule de sa vie, mais aussi et surtout avec les oasiens, les humbles et partout où il séjourna, il laissera le souvenir d’un humaniste et d’un homme tout simplement, bon et juste. Il impressionna aussi par son immense culture et son insatiable curiosité : aucun domaine ne devait lui échapper.

Il a beaucoup écrit et publié, des milliers de pages scientifiques dans des articles et des livres de référence, mais aussi des ouvrages d’art où les remarquables photographies de ses amis M. Bruggmann et A. Sèbe, sont toujours accompagnées d’un texte précis, soigné et d’une belle écriture. Son séjour algérien et algérois allait en faire un spécialiste de la préhistoire saharienne et en particulier du Néolithique et sa thèse sur l’Ahnet et le Mouydir fut couronnée de succès, le « Travail d’une vie » disait-il à une époque où les Sciences humaines restaient le fondement de toute évolution. Préhistorien au Musée du Bardo d’Alger dans l’équipe du Doyen Lionel Balout, chargé de recherches au CNRS, Il participa à la dernière grande aventure terrestre de cette moitié du XXème siècle, les missions Berliet-Ténéré-Tchad (1959-60) où des mécènes, comme les frères Berliet, étaient encore capables d’honorer la Science. Il en réunit les documents scientifiques, dont il devint le Conservateur, dans une importante monographie publiée en 1962 aux éditions Arts et Métiers-Graphiques (AMG). En plus d’être un savant comme on l’entendait encore au début du XXème siècle, il restera toute sa vie un homme humble.

Lors de ses funérailles, le 13 juin 2014, dans le petit village provençal de Montfroc, beaucoup furent surpris d’entendre énoncer les médailles militaires et civiles censées récompenser son parcours : mais jamais il ne les mit en avant, d’aucune façon. Rappelons seulement celles qui couronnèrent sa vie civile : palmes académiques, ordre du mérite, ordre des Arts et des Lettres, mérite saharien, mérite sénégalais, mérite mauritanien. Cette humilité, il la partagea avec quelques uns de ses amis, au nombre duquel on peut citer Th. Monod qui le recruta à L’IFAN de Dakar en 1963 lorsqu’il s’agissait de remplacer R.Mauny nommé à d’autres fonctions. Il y restera jusqu’en 1968, contribuant à former les futurs préhistoriens sénégalais, à mettre en avant la Préhistoire sénégalaise, mauritanienne et à jeter les premiers jalons de ce qui allait devenir la « Mission de Tichit » dans le Hodh mauritanien. Les évènements tragiques du mai 1968 sénégalais allaient lui faire intégrer le Muséum national d’histoire naturelle de Paris où il avait son bureau à l’Institut de Paléontologie humaine.

Durant des années, en tant qu’universitaire, professeur à Nanterre, membre de nombreuses sociétés savantes et correspondant à l’Académie des Sciences d’outre-mer, il a animé séminaires, conférences, organisé le VIème Congrès panafricain de préhistoire et de l’étude du Quaternaire à Dakar, le Musée saharien de Sénanque dans le Vaucluse, répondu aux demandes du gouvernement britannique et danois dans leur désir d’organiser leur science préhistorique, dirigé la mission de Tichit en Mauritanie et organisé l’exposition au Muséum nationale d’histoire naturel, « Le Sahara avant le désert » complétant ainsi l’ouvrage du même nom. La « Mission de Tichit » allait révéler ses talents de « chef » de chantier de fouilles archéologiques. Il en dévoila les premiers résultats dans un livre remarquablement documenté « Le Sahara avant le désert » qui, avec la publication de « L’Afrique préhistorique » se voulaient être une synthèse des connaissances sur la Préhistoire africaine de l’époque. En illustre savant qu’il était, il a cherché de cette façon, et certains ont pu le lui reprocher, à vulgariser, sans jamais se mettre en avant, une science complexe touchant aux origines de l’homme dont le devenir le préoccupait beaucoup.

La Préhistoire était pour lui plus qu’un métier, il en fit une morale de vie qui le poussait sans cesse à la modestie. Il aimait la jeunesse qui le lui rendait bien. Jamais avare de conseils, il recevait avec beaucoup de plaisir autour d’une bonne bouteille, lui le digne représentant de « Colas Breugnon » que Romain Rolland lui dédicaça en 1938 « Pour lui rappeler qu’un bon Bourguignon ne perd jamais le sourire, quoiqu’il arrive ». Il était d’un naturel gai et d’une incroyable curiosité qui le mena jusqu’aux derniers instants de sa vie à constituer des dossier sur tous les sujets que l’on peut imaginer et en particulier les Arts, tous les Arts qui le fascinaient lorsqu’ils aboutissaient à des chefs d’œuvre. Abonné de longues années à la « Gazette de Drouot », il ne se lassa jamais d’admirer un bel objet, une belle œuvre.

Alors qu’il n’avait pas loin de 90 ans, il donne encore une conférence à l’université de Montpellier III sur le langage des rupestres, puis encore une autre à l’université de La Rochelle. Il n’en avait pas encore terminé avec la Préhistoire et le Sahara quand on lui demanda de rédiger l’énorme ouvrage sur les rupestre, puis celui sur le Tibesti « Sahara interdit » dont la publication ne se fit pas sans mal dans le contexte géopolitique de l’époque. Ce furent ses derniers écrits interrompus malheureusement par une opération ratée de la main qu’il avait du mal à mouvoir.

Avec S. Hugot son épouse qui partagea avec passion sa longue vie et sans laquelle il se sentait si seul, il se retira les dernières années à Manosque. Il aimait la Provence dont il parlait la langue (ainsi que parfaitement celle de Dante dans laquelle il pouvait encore, chose incroyable, réciter de longs vers de la Divine Comédie !) et il se souvenait avec émotion de son enfance passée à Grasse, il en humait encore le parfums des jasmins de la propriété familiale… Fréquemment, il recevait la visite de jeunes étudiants et de vieux amis connus sur les pistes sahariennes venus écouter le maître, le sage. Il nous a quitté brutalement dans sa 98ème année en laissant une œuvre considérable dont certains manuscrits achevés mais non publiés : une géographie des déserts, des essais philosophiques et de nombreuses pensées sur l’existence, la sexualité, la démographie, la vie, la mort…écrites aux premières pages de cahiers ou de carnets ici et là mais inachevées. Il a emporté avec lui les nombreuses histoires cocasses vécues au Sahara et qu’il nous racontait avec de grands éclats de rire. Nous ne les avons pas notées ; nous pensions qu’il était éternel ! Nous avons péché par orgueil, mais nous étions ses enfants.

Sa vie fut longue, passionnante, et le regard agnostique qu’il portait sur le monde s’est peu à peu transformé en une quête religieuse qu’il matérialisa par la rédaction d’un ouvrage dont il parla toute sa vie, mais qu’il ne publia jamais : « La mort du coq. Réflexions d’un préhistorien sur le devenir du Monde ». Le titre lui-même semble indiquer la fin d’une interrogation qu’il avait sur l’existence de la vie humaine sur terre. La première phrase de l’introduction rédigée bien avant l’an 2000, commence ainsi « Est-ce l’écume des jours accumulée sinistrement contre les portes du XXIème siècle, est-ce l’écho terrifiant des explosions atomiques ? Ou bien est-ce l’inquiétude sournoise provoquée par le retour de nouvelles grandes endémies ? Toujours est-il que notre planète, humainement parlant, donne des signes inquiétants de fatigue… ». Que ce dernier hommage et ceux rendus par ses amis proches et lointains, puissent éclairer les nouvelles générations sur une époque charnière entre la pensée et le matérialisme, une époque marquée par deux guerres mondiales qui resteront parmi les plus meurtrières de l’humanité, humanité dont on dit qu’elle serait arrivée au faîte de l’intelligence ? La communauté scientifique internationale est avare d’éloges dans un monde où les Sciences Humaines cherchent difficilement à se frayer une place dans un « monde-spectacle » où tout s’achète, même la respectabilité. Quand les « Gazelles » Berliet tracèrent la route du Ténéré, tout semblait croire qu’une nouvelle ère allait projeter la pensée humaine vers de nouvelles lumières humanistes, les peuples opprimés vers la liberté, les politiques étatiques vers la justice et la générosité. Il n’en fut rien et il est parti sans regret rejoindre celle avec laquelle il avait lié sa vie au Maroc et partagé 70 années de sa vie et pour laquelle la flamme d’une bougie brûlait jour et nuit dans sa vaste maison de Manosque et devant laquelle il semblait dire chaque matin : « …Je crois que soient longues, sans toi, les heures éternelles ».

Hommages de Georges.Hugot à son père (paru dans le journal "la Rahla")

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